Les Mauvaises de Séverine Chevalier
Le pitch :
Micheline, dite Roberto, 15 ans, est retrouvée morte, pendue sous le viaduc. Peu de temps après, son corps disparait de la chambre funéraire où il repose en attendant les obsèques.
Mon avis :
Voici un roman que son pitch et son titre ne laissent pas entrevoir. Parce que l’on s’attend à quoi ? On s’attend à une enquête pour retrouver le corps ? On s’attend à des doutes sur les circonstances du décès de Roberto ?
Non, on a là un roman qui aborde en profondeur les sentiments des personnes qui ont gravité autour de Roberto.
Des Mauvaises ? oui, il y en a beaucoup dans ce roman. Des mauvaises idées, des mauvaises pensées, des mauvaises pulsions, des mauvaises langues, tout ce qui fait que l’homme est l’homme.
Il y a surtout des personnages incroyables dans ce roman.
Lipo, le père de Micheline, dévasté par la disparition de sa fille, va se rappeler des tranches de vies avec elle et son propre père. Un grand-père imbibé de mauvaises pulsions qui a dès le départ fait de Micheline une mauvaise fille aux yeux des villageois.
Ouafa, la meilleure amie de Roberto, est anéantie et sombre dans la folie, pour se protéger mais aussi pour protéger Oé, leur copain, qui souffre de troubles mentaux. Ouafa va tout faire pour qu’Oé ne sache rien. Ouafa dont la mère n’est d’aucun soutien.
Oé, un jeune garçon de 11 ans, suit toujours ses deux amies à la trace. Il est imprévisible et ne supporte pas qu’on le touche. Malgré tout l’amour de sa mère, malgré la protection de Ouafa, Oé va devoir affronter une part de vérité qu’il ne saura pas gérer.
Et puis il y a tous les autres, bien pensants, égoïstes, ceux qui jugent.
Le clown sur la carte semblait goguenard, mais d’une façon légèrement peinée. Comme s’il compatissait, mais tout en s’amusant gentiment de ce qu’elle était, de ce qu’ils étaient tous, les hommes.
Si imaginatifs, si désirants.
Si prévisibles, conformes et fragiles.
Si seuls.
La mort de Roberto va révéler les blessures du passé mais aussi exacerber tous les travers des gens, précipiter certains évènements.
Finalement, quel intérêt de savoir pourquoi ? C’est souvent ceux qui restent qui souffrent le plus.
Ces personnages prennent vie sous une plume différente de ce qu’on peut lire habituellement. Beaucoup de poésie, de sensibilité, font qu’on a là un beau texte.
Au petit matin, Roberto se balançait.
Plus tard, elle se balançait encore.
Un léger vent de sable rouge et de chaleur venu du Sahara, c’était infime.
Bien sûr, son cœur ne battait plus, même s’il avait continué de faire poum poum
Poum poum
Poum poum
Poum poum
Poum poum
Quelque temps après l’arrachement du haut de la moelle épinière/le tronc cervical coupé net/l’arrêt de la respiration.
Poum poum
Poum poum
Poum poum
C’était un poum poum éclairé par la lune, la pulsation de l’humain et de la terre mélangés.
Poum poum
Poum poum
Personne pour l’entendre.
Poum poum
Et les oiseaux se taisaient comme chaque nuit, pas pour rendre hommage.
Rendre hommage à quoi, ils ne s’en souciaient guère, des humains trop tristes qui se pendaient à des viaducs, se jetant dans le vide, stoppés net par une corde.
Ils s’en foutaient royalement, des cœurs qui continuaient à battre pour un temps, des corps accrochés devenus mous puis durs que d’autres hommes allaient coller et vénérer une fois par an dans un cimetière moche et trop bien rangé,
Poum
J’ai beaucoup aimé la fin qui dévoile ce que chacun est devenu 25 ou 30 ans après sans trop en dire.
En bref, c’est un superbe roman noir avec des personnages qui s’avèrent plus importants que le scénario en lui-même. Une très belle découverte.
4ème de couverture :
(Sûrement la plus brève des 4èmes de couverture)
Le cadavre disparut la même nuit que les bêtes.
L’auteur :
Séverine Chevalier est l’auteur de Recluses (2011 Editions Ecorce) et de Clouer l’Ouest (2014 La Manufacture de Livres), prix Calibre 47 2016. Mauvaises est son troisième roman.