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EVADEZ-MOI
11 mars 2021

L'eau rouge de Jurica Pavicic

eau rouge

 

Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

 

Cette année, les éditions Agullo nous proposent de découvrir un nouvel auteur venant de l’Est, des Balkans, avec un auteur croate et au travers d’un polar.

Tout commence avant la guerre fratricide des Balkans, en 1989, avec la disparition d’une jeune femme, Silva, après une soirée bien arrosée. La police et sa famille va la chercher partout. Meurtre ? Fugue ? Toutes les pistes seront étudiées et des présumés coupables seront désignés, puis disculpés quand une jeune femme témoignera avoir vu Silva dans une gare.

Jakov cherche lui aussi. Il a arrêté de placarder des affichettes un peu partout en Herzégovine et en Dalmatie car il a l’impression que ça n’a maintenant pas beaucoup de sens. Au lieu de cela, il traîne autour du village, il inspecte tous les endroits où le corps pourrait se trouver. Il tourne au milieu de la lande et des ronciers. Il déambule sur les coteaux jusqu’à la Prosika. Il fouille des journées entières le canyon qu’empruntait autrefois l’ancienne voie des caravanes vers la Bosnie, il erre dans les gorges où sévissaient les haïdouks. Il rôde comme une âme en peine, cherchant ce qu’il ne souhaite pas trouver. Il cherche un petit tertre enfoui en surface, un corps couvert de branches, jeté dans une doline ou dans le lit asséché d’un cours d’eau. Il cherche Silva morte quelque part et dans le même temps, il est heureux de ne pas la trouver.

Jakov, c’est le père de Silva. Avec la disparition de sa fille, c’est toute sa famille qui vole en éclat. Alors qu’il est persuadé que Silva est morte, sa femme, elle, est persuadée du contraire. Elle va forcer Jakov et Mate, leur fils, à tout sacrifier pour continuer à chercher Silva. Mais cette famille ne sera pas la seule à voler en éclat.

Puis, la guerre s’en mêlant, les anciens policiers remerciés, les pouvoirs changeant de mains, les jeunes envoyés se battre, presque tout le monde oubliera Silva. Tout le monde sauf son frère et sa mère qui ne cesseront jamais, pendant plus de vingt ans, de la chercher ainsi qu’un ancien policier que cette enquête aura hanté une bonne partie de sa carrière.

On pourrait croire à un scénario classique. Sans son contexte historique, ça serait certainement le cas.

Pour avoir eu la chance de passer des vacances en Croatie il y a trois ans, j’ai pu voir les stigmates de cette guerre, entendre les témoignages de croates sur ce qu’ils ont vécu, sur ces blessures qui saignent toujours, observer des fermes, des maisons, avec encore les traces des balles dans leurs murs.

Et c’est bien ça qui m’a vraiment intéressée dans ce roman. Comprendre et apprendre davantage sur cette période, sur ce qu’ont pu ressentir les gens, sur la façon dont ça a détruit des familles. Voir aussi comment certains en auront aussi profité pour finir de ruiner et de déposséder des familles au nom d’un tourisme venant de l’Ouest.

Une belle découverte des éditions Agullo.

 

Un extrait :

Il pose à nouveau son regard sur la feuille de papier. A l’époque, quand tout ça était encore frais, il y avait ces affichettes partout dans Misto et dans les environs, sur les auvents, sur les poteaux, dans les vitrines. Quelqu’un en avait collé une sur la devanture de leur boulangerie. Son père n’avait pas osé la retirer, alors qu’il savait qu’elle n’avait pas été placée là comme un appel à l’aide mais comme une menace.

Toutes les affichettes étaient pareilles à celle qu’il voit maintenant sur le mur près des toilettes : le nom de Silva, la description de ses vêtements, le numéro de téléphone, un numéro de téléphone avec un vieil indicatif yougoslave. Et son visage, son nez froncé, la mèche qui barre son front. Cela fait longtemps qu’ailleurs les autres tracts ont disparu : ils se sont décollés, ont été arrachés, emportés par la pluie. Il n’est resté que celui-là, loin de Misto, dans un autre pays, dans un village de l’autre côté du front, à côté d’une porte de toilettes. Six années depuis lors ont passé, et deux guerres. Par deux fois le front a traversé cette vallée, par deux fois une armée en a remplacé une autre, qui a conquis ce territoire, l’a détruit, anéanti. Et pendant que les fourmis jaunes incendiaient les maisons des fourmis noires, puis les noires celles des jaunes, la feuille de papier avec le visage de Silva est restée là, intacte, à côté des toilettes. Pendant que les uns et les autres périssaient ou vieillissaient, seule Silva est restée jeune, figée dans son carré blanc.

-      Et qu’est-ce qu’il s’est passé ? demande Sanja soudain intéressée. Vous l’avez retrouvée, cette fille, après ?

 

4ème de couverture :

Dans un bourg de la côte dalmate, en Croatie, Silva, une jeune fille de 17 ans, disparaît à l'occasion de la fête des pêcheurs. Nous sommes un samedi de septembre 1989, dans la Yougoslavie agonisante. L'enquête policière menée par l'inspecteur Gorki Šain fait émerger un portrait de Silva plus complexe que ne le croyait sa famille : celui d'une lycéenne scolarisée à Split, la capitale dalmate, touchant à la drogue et revendant de l'héroïne pour le compte d'un dealer nommé Cvitko. Et puis il y a ce témoin de dernière minute, qui prétend avoir vu Silva, le lendemain matin de sa disparition, prenant un billet de car pour l'étranger... Mais l'Histoire est en marche, le régime de Tito s'effondre, et le nouveau pouvoir lance une chasse aux sorcières qui n'épargne pas les forces de l'ordre : l'inspecteur Gorki Šain est poussé à la démission et l'affaire, classée. Seule la famille de Silva poursuit obstinément les recherches...

 

L’auteur :

Jurica Pavičić est un écrivain, scénariste et journaliste croate, né à Split en 1965. Il collabore depuis 1989 en tant que critique de cinéma à différents journaux. Il est l'auteur de sept romans, de deux recueils de nouvelles, d'essais sur le cinéma, sur la Dalmatie et le monde méditerranéen, de recueils de chroniques de presse... Ses nouvelles et ses essais ont été traduits en anglais, en allemand, en russe, en italien et en bulgare. Son roman Les moutons de gypse a été adapté au cinéma par Vinko Brešan, sous le titre Witnesses (Svjedoci), film qui a remporté le prix œcuménique du jury du Festival de Berlin en 2003. Le prix du meilleur scénario a été décerné à Jurica Pavičić pour ce même film au Festival de Pula la même année.

 

Editeur : Agullo Editions (mars 2021)

Collection : Agullo Noir

ISBN : 979-1095718772

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