Entres fauves de Colin Niel
Depuis que j’ai terminé Sur le ciel effondré de Colin Niel il y a tout juste deux ans, j’attends avec impatience son nouveau roman.
L’auteur sait parler des gens qui peuplent les contrées de ses romans comme rares sont ceux qui y parviennent.
Ici il nous emmène dans deux régions très distinctes.
Les Pyrénées avec Marc, garde forestier du Parc National dans la vallée d’Aspe.
La Namibie avec Kondjima et Charles.
Colin interroge dans ce roman sur les pratiques de chasse mais aussi sur la cohabitation entre les hommes et les grands prédateurs.
Dans ce roman, il donne la parole à quatre personnages.
Kondjima est un Himba qui vit au Kaokoland dans le nord de la Namibie. Fils de berger, il assiste impuissant à l’attaque d’un lion sur le troupeau de chèvres de son père. Aucune bête n’en réchappera, anéantissant le peu de « fortune » que détenait le père et ruinant la réputation de la famille entière. Choqué par l’attaque et en colère, Kondjima n’a plus qu’une idée en tête : tuer ce tueur de bétail, le lion solitaire à crinière noire.
Charles est un lion solitaire qui souffre, comme tout être vivant peuplant le Kaokoland, de la sècheresse. Il n’y a plus de proies, plus d’eau, plus d’ombre où se reposer. Poussé par la faim et l’instinct de survie, Charles se rapproche des villages pour se repaitre du bétail. Il a appris à connaitre les hommes et, très vite, sait qu’il est pourchassé.
Il détala sur ses pattes estropiées, rampa sous les épines, s’insinua sous les branches emmêlées en massifs, élargit tant qu’il pouvait la distance qui le séparait des hommes lancés à ses trousses depuis le milieu du jour, ces bipèdes dont les contours hantaient déjà ses souvenirs, debout à quelques mètres de lui dans la nuit approchante, avec leurs armes et leurs regards menaçants, si seulement ils n’avaient pas possédé ces outils ils auraient vite compris à qui ils se mesuraient, en trois coups de patte il les aurait atteints comme des proies sans défense, assommés d’un seul impact, griffes et crocs plantés dans leurs chairs dépourvues de tout pelage. Poussé par la douleur autant que par la rage, il fonça dans le bush, sauta de pierre en pierre, trébuchant mais se relevant à chaque fois, grondant son agonie, son sang en taches éparses sur la terre qu’il foulait, comme autant de cailloux d’ocre déposés dans sa course, résolu à triompher du moindre obstacle dressé sur son passage, fût-il vivant, fût-il à nouveau un de ces hommes violant son territoire, pour pouvoir fuir, qu’importe, il déchaînerait tout ce qu’il avait encore en lui.
Apolline, c’est une jeune fille de vingt ans, passionnée de chasse qu’elle pratique avec son père depuis toute petite. Pour fêter son anniversaire, son père lui offre un trophée, ils vont partir tous les deux en Namibie pour qu’elle tue un lion et en ramène le trophée. A leur retour, la photo d’elle et de son trophée apparaît sur le net et les internautes se déchaînent.
Marc, garde forestier d’un Parc naturel dans les Pyrénées et l’un de ces internautes. Féru opposant à la chasse, il ne décolère pas depuis que Cannelle, une ourse dernière de la lignée des ours des Pyrénées, a été abattue par des chasseurs il y a quelques années. Cannellito, son fils a lui aussi disparu du massif depuis des mois. Quand il voit la photo d’Apolline et de son trophée, il décide de la retrouver et de lui faire comprendre ce que c’est que de se sentir traqué.
Au travers de ses personnages, Colin Niel aborde deux thèmes. Le premier, puisqu’il est l’ouverture du roman, est celui du harcèlement sur les réseaux sociaux. Un harcèlement, on le voit tous les jours, violent et aveugle, où les gens se lâchent sur la cible sans réfléchir aux conséquences, sans même chercher à connaître la vérité même si tout semble évident. Le danger des réseaux dits sociaux n’est plus à démontrer mais un rappel ne fait pas de mal.
Le second thème et, pour moi, le plus intéressant, est celui de la cohabitation parfois compliquée avec les grands prédateurs. Ce peut être en Europe avec les loups et les ours, ou en Afrique avec les animaux sauvages tels les lions.
Cependant, il reste une très grande différence entre la chasse pour se nourrir ou pour défendre son lieu de vie ou les troupeaux et la chasse que je qualifierai de plaisir, plaisir de tuer et de s’en vanter. Kondjima est animé par la première et Apolline la seconde.
L’écriture, tout autant que l’histoire, est toujours aussi magnifique. L’auteur sait capter tous les détails, tous les sentiments, toutes les sensations.
Je rajouterai que la fin m’a beaucoup plu, elle est parfaite.
4ème de couverture :
Martin est garde au parc national des Pyrénées. Il travaille notamment au suivi des derniers ours. Mais depuis un an et demi, on n’a plus trouvé la moindre trace de Cannellito, le seul plantigrade avec un peu de sang pyrénéen qui fréquentait encore ces forêts, pas d’empreinte de tout l’hiver, aucun poil sur les centaines d’arbres observés. Martin en est chaque jour plus convaincu : les chasseurs auront eu la peau de l’animal. L’histoire des hommes, n’est-ce pas celle du massacre de la faune sauvage ? Alors, lorsqu’il tombe sur un cliché montrant une jeune femme devant la dépouille d’un lion, arc de chasse en main, il est déterminé à la retrouver et la livrer en pâture à l’opinion publique. Même si d’elle, il ne connaît qu’un pseudonyme sur les réseaux sociaux : Leg Holas. Et rien de ce qui s’est joué, quelques semaines plus tôt, en Afrique.
Entre chasse au fauve et chasse à l’homme, vallée d’Aspe dans les Pyrénées enneigées et désert du Kaokoland en Namibie, Colin Niel tisse une intrigue cruelle où aucun chasseur n’est jamais sûr de sa proie.
L’auteur :
Colin Niel est l’une des grandes voix de la littérature noire d’aujourd’hui. Il a reçu de très nombreux prix littéraires et toute son œuvre est publiée aux Éditions du Rouergue.
Sa série guyanaise multiprimée : Les Hamacs de carton (2012, prix Ancres noires 2014), Ce qui reste en forêt (2013, prix des lecteurs de l’Armitière 2014, prix Sang pour Sang Polar 2014), Obia (2015, prix des lecteurs Quais du polar/20 Minutes 2016, prix Polar Michel Lebrun 2016) et Sur le ciel effondré (2018) met en scène le personnage d’André Anato, un gendarme noir-marron à la recherche de ses origines.
En 2017 il publie Seules les bêtes, pour lequel il reçoit notamment le prix Landerneau Polar ainsi que le prix Polar en Séries. Ce roman est adapté au cinéma par Dominik Moll.
En 2019, en collaboration avec le photographe Karl Joseph, paraît un album : La Guyane du capitaine Anato.
En 2020 paraît Entre fauves, remarquable roman sur le thème de la chasse.
Martin est garde au parc national des Pyrénées. Il travaille notamment au suivi des derniers ours. Mais depuis un an et demi, on n'a plus trouvé la moindre trace de Cannellito, le seul plantigrade avec un peu de sang pyrénéen qui fréquentait encore ces forêts, pas d'empreinte de tout l'hiver, aucun poil sur les centaines d'arbres observés.
https://www.lerouergue.com
Editeur : Editions du Rouergue
Collection : Rouergue Noir
ISBN : 978-2812620683