Chinatown, intérieur de Charles Yu
Traduit de l’anglais par Aurélie Thiria-Meulemans.
Voici un roman aussi bon à l’intérieur qu’à l’extérieur.
D’abord, il y a une couverture qui claque réalisée par Elena Vieillard.
Puis vous ouvrez le livre et vous découvrez, non pas un texte classique, mais quelque chose qui ressemble à un script, un manuscrit avec sa typographie bien particulière, police d’écriture, mise en page, plans intérieurs, plans extérieurs.
Et c’est donc sous la forme d’un script que Charles Yu dénonce et se moque de l’industrie du sitcom policier américain avec le duo flic noir – flic blanc, la jolie latino et le figurant asiatique, tellement cliché, sans texte à réciter et n’apparaissant jamais sur l’affiche ou en très petit, dans le fond.
Willis est un américain d’origine asiatique qui rêve de devenir maître kung-fu dans un film ou une série. Mais Willis ne se fait guère d’illusions et dans le petit appartement familial de Chinatown, à Los Angeles, il sait que même en travaillant comme un forcené, le chemin sera quasiment impraticable. Mais il décroche quand même un rôle de « Asiat’ » dans une série policière avec flic blanc et flic noir, la jolie métisse. Lui, né aux Etats-Unis, on lui demande de faire l’accent chinois, ce qu’il a bien du mal et à faire, et à accepter. Dialogues plats, script formaté, on ne sait parfois plus si on est dans la réalité de Willis ou un spectateur de tournage.
Et puis un matin tu t’es réveillé et c’est terminé. Le rêve avait pris fin. Grand Frère n’était plus Mister Kung-Fu. Les détails sont restés secrets, la version officielle est simplement que ça n’a pas marché. Le résultat pour vous tous : plus de Mister Kung-Fu. Tout à coup, l’âge d’or de Grand Frère avait pris fin, sans tambour ni trompette, sans raison en fait. Officieusement, on comprenait. Il y avait un plafond de verre. Il y en a toujours eu un, et il y en aurait toujours un. Même pour lui. Même pour notre héros, il y avait des limites au rêve d’assimilation, des limites au-delà desquelles aucun d’entre nous ne pouvait prétendre aller dans le monde de Noir et Blanc.
C’était peut-être mieux ainsi. En tout cas pour lui, d’un point de vue personnel. Malgré tous ses succès, Grand Frère n’avait jamais semblé totalement à l’aise à sa place attitrée dans la hiérarchie, il n’avait jamais été vraiment à fond à la poursuite d’une carrière. Il ne se percevait pas comme Mister Kung-Fu. Et il n’avait pas tort. Son Kung-Fu était trop pur, trop parfait pour être exploité comme chacun savait qu’il le serait : des trucs clinquants, débiles, les mêmes mouvements vus des millions de fois mais qu’on lui redemandait encore et encore à chaque mariage et à chaque nouvel an lunaire. Mieux valait qu’il ne connaisse pas la gloire pour connaître la postérité. Mieux vaut être une légende qu’une star.
A travers cette industrie du cinéma et de la télévision, c’est bien le racisme anti-asiatique que dénonce l’auteur et de l’utilisation par cette même industrie des clichés souvent erroné, qui ne sait faire la différence entre Chinois, Coréen, et autres. Ces « représentants » ethniques utilisés dans les distributions comme pour montrer une diversité et une intégration qui n’existe pas. Il n’y a qu’à regarder les publicités en France pour se rendre compte que les marques utilisent ces mêmes arguments pour convaincre de leur pluralité.
On entend en général parler de racisme aux Etats-Unis qu’envers les latinos, les noirs mais jamais envers les asiatiques. Il était temps qu’un auteur en parle et il le fait avec une originalité déconcertante, drôle, une sorte d’autodérision pleine de fraicheur et d’humour, sans haine mais avec une forme de renoncement touchante.
4ème de couverture :
C’est l’histoire d’un Américain d’origine asiatique qui essaie de trouver sa place dans la société américaine. Et, comme on est dans la patrie d’Hollywood, Yu raconte cette épopée sous la forme d’une quête du rôle idéal. Car le rêve de toujours du héros c’est de devenir Mister Kung Ku : il a vu la série à la télé quand il était petit, et c’est son but dans la vie. Sauf que plus il monte les échelons, plus il comprend que Mister Kung Fu n’est qu’un autre rôle qu’on veut lui coller parce qu’il est asiatique. C’est un roman high-concept écrit sous la forme d’un scénario : le héros n’est ni « je » ni « il » mais il est désigné par un « tu ». Le héros suit le script qui peint sa vie comme une série télé en mélangeant les genres : la bonne vieille série policière, avec un flic noir et une flic blanche et une grande tension amoureuse entre les deux, des scènes de kung fu, et on finit sur une superbe scène de court drama où l’Amérique se retrouve jugée pour son traitement de la communauté asiatique. Un roman virtuose, drôle et attachant : un Lala Land sauce aigre-douce.
L’auteur :
Charles Yu est un Américain d’origine taïwanaise, né à Los Angeles en 1976. Nouvelliste, il est lauréat de nombreux prix (Sherwood Anderson Fiction Award en 2004). Charles Yu fut distingué par la National Book Foundation comme un des 5 écrivains américains les plus prometteurs de sa génération, sur recommandation de Richard Powers (lauréat 2006 du National Book Award). Actuellement, Charles est un des scénaristes de Westworld, la nouvelle série de JJ Abrams pour HBO.
C'est l'histoire d'un Américain d'origine asiatique qui essaie de trouver sa place dans la société américaine. Et, comme on est dans la patrie d'Hollywood, Yu raconte cette épopée sous la forme d'une quête du rôle idéal.
https://www.auxforgesdevulcain.fr
Editeur : Aux forges de Vulcain (Aout 2020)
ISBN : 9782373050899