Sirènes de Laura Pugno
Traduit de l’italien par Marine Aubry-Morici.
Le premier qualificatif qui me vient à l’esprit est Etrange.
La première question qui me vient est Comment vais-je bien pouvoir parler de ce texte ?
Pourquoi étrange ?
Parce que, tout d’abord, l’auteure casse le mythe des sirènes. Nous connaissons celle de Disney, un peu nunuche mais c’est pour les enfants ; celle de Splash (ok pour les plus de 40 ans), sublime ; celle des légendes marines, les beautés qui attirent les marins de leur chant envoûtant.
Ici, nous aurons affaire à des sirènes qui n’ont rien de beautés si ce n’est dans la couleur de leurs queues. Il y a des mâles et des femelles, ces dernières étant élevées pour la reproduction afin d’être transformées en « viande marine ».
Les « humains » n’ont plus de ressources comestibles en raison d’une modification de l’atmosphère terrestre qui condamne quiconque s’expose au soleil de mourir du Cancer noir et la viande de sirènes est donc un mets très apprécié.
Quant aux sirènes femelles, outre leur viande, elles sont appréciées des humains pour tout autre chose et particulièrement en période de reproduction pendant laquelle certains hommes en profitent pour s’accoupler avec elles. C’est ainsi que va naître Mia, mi-sirène, mi-humaine.
On pourrait penser que c’est un texte qui traite de l’élevage intensif mais il n’en est rien. C’est un roman au fort message féministe avant tout. Pour exemple, les mâles sont dévorés juste après l’accouplement, ils n’ont aucune autre fonction et leur viande n’est pas comestible. Sans oublier que la sirène reste un mythe sexiste de la littérature, du cinéma. Casser ce mythe c’est mettre à mal ce sexisme. Enfin, c’est ce qu’une féministe dirait sans doute.
Pour ma part, je ne suis pas pour casser les mythes et légendes, ou changer le nom des choses ou détruire des symboles.
Mais, il faut dire que dans ce texte, c’est fait d’une manière très différente de ce qu’on peut lire ailleurs. C’est plus original qu’étrange d’ailleurs.
Quant au contexte très postapocalyptique, il perd un peu de terrain justement face à ce côté « lubrique » de Samuel, personnage principal masculin du roman. C’est un peu dommage car cette anticipation dans la recherche de remèdes ou de méthodes pour survivre sur une terre à l’agonie, message écologique et sanitaire fort, n’est, à mon avis, pas exploité, et aurait mérité un focus plus important qu’un remake de Loana dans la piscine du Loft (toujours pour les plus de 40 ans, désolée).
Ce texte ne m’a pas dérangée, ni captivée non plus. C’est une curiosité à lire, clairement.
Un extrait :
La découverte des sirènes avait eu lieu une vingtaine d’années auparavant, grâce au travail d’une équipe de scientifiques des Territoires, bien avant l’épidémie de cancer de la peau. Le terme d’épidémie était adapté. Même si les médecins avaient eu du mal à y croire, le cancer noir pouvait se transmettre par simple contact.
Quelque chose avait changé dans l’atmosphère, dans les couches protectrices qui séparaient la Terre de son étoile, et désormais le soleil semblait vouloir dévorer l’humanité, tel un dieu mauvais. Un dieu aztèque qui aurait exigé des sacrifices.
Certains croyaient que les sirènes étaient le fruit d’une mutation génétique, d’une évolution de l’espèce presque éteinte des dugongs ou des lamantins, pour affronter un monde dont l’homme était destiné à disparaître. D’autres créatures, sous-marines, domineraient un jour la Terre. D’autres disaient qu’il était normal de découvrir des espèces inconnues puisque, même si cela coûtait très cher, l’homme était désormais capable d’habiter le fond des mers et des océans. Des espèces nouvelles, ou peut-être très anciennes, comme les merveilleuses et cruelles sirènes.
Les sirènes étaient immunisées contre le cancer de la peau. Même si elles venaient en surface et respiraient en dehors de l’eau, le soleil ne semblait pas pouvoir agresser leur épiderme.
Les scientifiques en avaient conclu que leur immunité dérivait de cette substance nacrée, visqueuse au toucher – la fameuse humeur –, qui recouvrait la peau de leur espèce et les protégeait de l’action abrasive de l’eau et du sable des fonds marins, laquelle fonctionnait également très bien – ironie des mécanismes de l’évolution génétique – contre l’amincissement de la couche d’ozone de l’atmosphère.
Quand l’épidémie avait commencé, avec les premières psychoses et hystéries collectives, les chercheurs avaient essayé de reproduire cette humeur en laboratoire, sans y parvenir. Dans cette gélatine laiteuse se trouvaient des composants encore non identifiés, et les tentatives de fabrication d’une crème pharmaceutique ou commerciale n’avaient pas abouti.
Les riches, et parmi eux les yakuzas, avaient dé - couvert la vie dans les resorts sous-marins. Les gens normaux se contentaient de vivre dans des bunkers, désormais modèle d’architecture dominant, et portaient des combinaisons de jour, des face masks achetés au marché noir, ainsi que de la céruse protectrice. Les désespérés, ceux qui n’avaient rien à perdre ou aucune envie de continuer à vivre, menaient leur quotidien comme avant. Ils logeaient dans de vieux bâtiments et sortaient à l’air libre.
Samuel était l’un d’entre eux.
4ème de couverture :
Dans un monde post-apocalyptique, dominé par les yakuzas, l’humanité s’éteint peu à peu, victime du cancer noir provoqué par les rayons d’un soleil maudit. Les riches vivent désormais sous terre, réfugiés dans les bunkers d’Underwater. Pour le bon plaisir de la yakuza, on élève des sirènes destinées à être consommées sous forme de viande de mer. Mais dans ce monde qui se divise désormais entre ceux qui meurent et ceux qui jouissent, Samuel, simple surveillant dans un bassin d’élevage, se laisse un jour tenter par le plus dangereux des plaisirs : il s’unit à une sirène femelle. Ainsi naît Mia, mi-sirène mi-humaine, une créature hybride porteuse peut-être, d’un nouvel espoir.
L’auteure :
Laura Pugno, née à Rome en 1970, est romancière et poétesse, elle dirige, depuis 2015, l’Institut Culturel Italien de Madrid. Elle a été récompensée par plusieurs prix, dont le prestigieux « Premio Campiello Selezione Letterati » en 2017, il Frignano per la Narrativa, il Premio Dedalus, il Libro del Mare e il Premio Scrivere Cinema per la sceneggiatura.
Sirènes est son premier roman traduit en français.
Editeur : Inculte (juin 2020)
Collection : Inculte Noir
ISBN : 9782360840564
Dans un monde post-apocalyptique, dominé par les yakuzas, l'humanité s'éteint peu à peu, victime du cancer noir provoqué par les rayons d'un soleil maudit. Les riches vivent désormais sous terre, réfugiés dans les bunkers d'Underwater. Pour le bon plaisir de la yakuza, on élève des sirènes destinées à être consommées...
https://inculte.fr